« La ville enfilée dans mes cheveux/Comme un jour de Carnaval/bleu l’amour […]…et l’espace est semblable à une plage/semblable à une femme déshabillée/de nos propres yeux », lit-on en quatrième de couverture de « Partances », premier recueil de poèmes de Coutechève Lavoie Aupont publié à New York chez Rivarticollection. Pour Josaphat R. Large : « L’errance intérieure de ce jeune poète lui permet de tout voir, de tout admirer et de faire appel à son extraordinaire sensibilité pour coudre, sur du papier, ces textes solaires qui forment comme une tapisserie, un patchwork de mots éblouissants ». À la lumière du point de vue de Large, il importe de déterminer si Coutechève voit effectivement – notamment les trois règnes minéral, végétal et animal – et si tous ses cinq sens sont en éveil. Dans la foulée, Aupont doit écrire avec les quatre éléments en l’occurrence la terre, l’eau, l’air et le feu. Chacun des éléments devrait par conséquent correspondre à un tempérament selon la théorie des éléments, caractérisée par deux couples d’opposés que forment l’air et la terre d’une part, l’eau et le feu d’autre part. Dans une série de quatre essais intitulée « Psychanalyse du feu », dont le premier est : La Terre et les rêveries du repos et La Terre et les rêveries de la volonté : Essai sur les images de l’intimité, Gaston Bachelard met la terre en relation avec la rêverie, le repos, la volonté. Quant à l’air, il l’associe au songe et au mouvement dans : « L’air et les songes, Essai sur l’imagination du mouvement ». Le troisième «L’eau et les rêves : Essai sur l’imagination de la matière » porte sur des correspondances psychanalytiques entre l’eau, le rêve et la matière. La série s’achève par l’élément par lequel Bachelard avait commencé, celui qui le fascine le plus personnellement, en l’occurrence le feu. De l’avis de Bachelard, « chacun des éléments (terre, eau, air, feu) correspond à un réseau particulier d’images affectives et à une appréhension propre de la nature et de la matière. Par exemple, l’eau peut renvoyer à l’élément féminin (maternité ou érotisme), à l’intimité ou encore au sommeil (les « eaux dormantes »). Le feu renvoie plutôt à la vivacité, à la passion, à la fusion avec le Tout (consumation du moi, dispersion dans l’immensité du monde) ou au frottement des corps, à la caresse, à la sexualité. L’air renvoie à l’infini, à l’ascension, à la légèreté ou encore à la transparence. Il évoque encore la liberté et les hautes valeurs morales. Enfin, la terre exprime par exemple la pesanteur. G. Bachelard n’écarte pas les croisements et combinaisons de renvois des éléments devant s’appliquer à « Partances » de Coutechève Lavoie Aupont. Des sens aux éléments Pour l’homme (mis à part les mal et/ou non-voyants), la vue demeure le premier, pour ainsi dire le sens de perception le mieux exercé. Viennent ensuite l’ouïe et le toucher, puis et enfin l’odorat et le goût. Drôle de coïncidence, le premier organe de perception de Coutechève Lavoie Aupont dans «Partances » est effectivement la vue associée, de manière pronominale réfléchie, aux organes du goût (la bouche) et du toucher (la peau, notamment les pieds) : « Poète/Je me vois bègue et errant (p 10) ». D’emblée, le poète se voit lui-même en lutte avec sa fonction première et qui demeure de parler aux hommes. Mais, bien que bègue et errant, s’il essaye quand bien même de se dire c’est justement parce qu’il voit, touche et marche sur la terre. Le mouvement, en termes de déplacement dans l’espace et le temps, ainsi que tout le poids de la matière (du corps) y sont. Un peu plus bas, dans une tentative de définition de la poésie, Aupont évoque l’ouïe par l’entremise d’une métaphore mettant en relation le « quotidien et la flûte » : « la poésie est un saignement de souvenirs bleus/elle scie le quotidien flûte (p 10) ». L’instrument flûte renvoie à la musique, aux sons, à l’air et au songe, si l’on songe à la flûte de Morphée. À la page 13 de « Partances», le poète condense le feu, l’eau et la sexualité dans une petite strophe de trois lignes : « Tête contre vagues/la nudité des mèches folles suinte la peur/sur un lampadaire de sel ». De la tête – siège de l’idée, d’où le soleil du mythe de la caverne de Platon et le fameux siècle des Lumières – à la « nudité des mèches » pour enfin aboutir au lampadaire, la vue et l’élément feu sont évoqués et associés. Par ailleurs, il y a aussi les vagues. Renvoyant à la couleur bleue et la sonorité suintante de l’eau, les vagues symbolisent l’énergie féminine tout en associant l’ouïe et la vue. Le mot « nudité », allié à la clarté des mèches, n’est qu’un redoublement métaphorique du rapprochement du chaud (le mâle) et du froid (la femelle). Le bleu, couleur du ciel et de la mer, suggère l’infini. Par comble de complémentarité, le pain et le sel –bien que ce soit dans le manquement–, sauvent le goût et achèvent de camper le poète dans la totalité de l’acte de perception : « Quand le pain se noie/la rue ne connaît point les miracles (p11) […]/Je perds de tes gestes le sel… (p 19)». Somme toute, si le poète voit tout, c’est uniquement pour tout perdre, y compris lui-même et le pays natal, car, dit-il à la page 19 : « Ici je perds de moi et de toi aussi/comme je perds de ce pays/de cette ville/de cette rue/l’odeur humaine de la vie et le goût fraternel des mains qui s’aiment ». Certes, Aupont voit, entend, hume, palpe et goûte, mais ses sens «suintent une peur » à la Kafka. Lisez : « Je réclame un corps à mille pattes (p 28) ». En guise de conclusion, répétons Denise Bernhardt selon qui: « Le désespoir du poète n’a pas pu tuer sa tendresse ». En effet, à l’instar d’un coucher de soleil: «Je pars comme un sourire sur le seuil de la table». « Partances» est dépositaire d’une lourde matérialité et d’un tempérament mélancolique. Il manque un peu de fraîcheur (ou de saveur) jouissive et de musicalité envoûtante au cocktail. |