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  • Un espace privilégié de production, de promotion, de motivation et d’échange permettant à tous ses amis d’encre de chercher, capter et apprivoiser le souffle de l’imaginaire afin de l’offrir en mots-cadeaux aux cœurs et âmes assoiffés d’émotions et de merveilles.
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"Le plus bel arrangement est un tas d'ordures disposées au hasard."

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"Les espaces du Nouveau Monde fournissaient un matériau de choix pour ces rêveries méthodiques, soigneusement organisées, qui présentent l'envers du réel comme son prolongement vraisemblable, ou tout du moins souhaitable."

Gérard Bouchard

 

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10 avril 2016 7 10 /04 /avril /2016 00:26
Le clochard de ma ville perdue

Il était une fois dans ma ville perdue, un clochard qui s’appelait Paulidord. Il était terriblement sale. Ses vêtements déchirés étaient aussi crasseux que son corps et ses cheveux. Il avait un air répugnant et son regard instable suivait toujours son ombre. Mais son bout de trottoir était propre. Il arrangeait continuellement tous ses déchets avec un soin effréné pour ne pas salir l’autre lui. A chaque pas, il avait son balai à la main pour éliminer avec rage les ordures qui voulaient tâcher son ombre. Même une jolie fleur sur son ombre était chassée à coup de balai de paille.

Autrefois ma ville fut verdoyante et attrayante. Bien tracée et construite, elle concurrençât certaines grandes villes de Paris. La vie nocturne comme celle du jour fut très vivante. Les bordels comme les grandes églises furent bourrés de vies en effervescence. Ce fut une grande ville de feu, de tant de rêves et d’espoirs étoilés. Mais au temps de Paulidord, j’avais perdu de vue ma ville. Je n’avais que des vagues souvenirs. Son nom, Babel. Certaines rues comme la rue Zigzague, la rue de l’Enterrement, la rue des Damnés, la rue de Toutes les Allées … Mais impossible de les localiser. Puisque la cartographie de ma ville n’était plus. Elle était déchirée et éparpillée en mille milliers de petits morceaux sous des tonnes de décombres déjà récupérées et utilisées à d’autres fins. Toutefois, cette triste réalité ne va pas m’empêcher de vous présenter les attitudes et habitudes du clochard Paulidord qui n’habitait pas une rue particulière, mais tous les trottoirs de Babel.

Il était de grande taille. Son jacket en cuir, son jean troué et crasseux, et ses multiples chaussettes boueuses et de toutes les couleurs constituaient son style favori. Son visage d’illuminé et ses grands yeux qui se battaient au rythme du vent chassaient à coup de balai de paille partout sur les trottoirs tous les déchets, les restants de décombres qui lui empêchaient de voir clairement son ombre. Il était terriblement sale. Mais pas ses trottoirs. Obsédé du trottoir. Il détestait les églises, les maisons, les bordels, tout simplement le fait d’être entre quatre murs et un toit protégés par des portes et des fenêtres. Il adorait follement les trottoirs. Ils symbolisaient sa liberté et sa libéralité. D’autant plus c’était pour lui le seul endroit où il pouvait voir à toutes les heures du jour et de la nuit son autre lui.

Il empêchait aux passants de fouler son bout de trottoir de peur de ne pas piétiner et salir son seul compagnon. Quand une ombre venait effacer son ombre, il marchait tête baissée ou latérale à la conquête de son fidèle compagnon. Quand il s’agissait d’un être humain qui voulait lui cacher son autre lui, il le chassait à coup de balai de paille. C’était aussi pareil pour tous les déchets et même les jolies fleurs parfumées n’étaient pas épargnées. Sans complexe. Sans esprit de clan. Sans esprit de parti pris. Il débarrassait son bout de trottoir au profit de son ombre.

Un jour perdu dans le temps, je l’avais surpris dans une folle discussion avec son ombre. Dans sa tenue habituelle, dans son comportement instable et tête baissée, avec son regard qui courait sans relâche, en plein midi, il entamait une discussion déchainée avec son autre lui qui fuyait son regard.

  • Le clochard : pourquoi tu ne veux rester que sous mes pieds, Paulidord Tout Court ?
  • Son ombre : silence.
  • Le clochard : Comme ça, Paulidord Tout Court ! Sors sous mes pieds. Je veux voir ta tête, tes grands yeux soleil et de lune.
  • Son ombre : silence
  • Le clochard : Bordel de merdes ! Répète ça. Tu fuis les regards trop souvent complices des autres. Tu as peur qu’ils ne te voient pas comme ça. Je ne te comprends plus. Tu es fou ? J’ai tout abandonné pour te propreté continuellement. Là maintenant, tu me sors que tu es laid. Que tu as peur que le monde te voit ainsi. Tu n’as pas un miroir en ta possession, tonnerre de merde !
  • Son ombre : silence
  • Le clochard : Ah bon ! Ils ont brisé tes miroirs. Tu ne peux plus voir ton image. Et tu penses que la solution c’est de te cacher sous mes pieds fêlés ?
  • Son ombre : Silence
  • Le clochard : Quelle idiotie que tu me lances là ! Où est passée ta confiance en soi ?
  • Son ombre : Silence
  • Le clochard : Merde ! Ils t’ont brisé aussi. Tu es tellement beau et propre que j’abandonne ma personne pour te contempler et te faire constamment une place dépourvue de déchets et de toute sorte de saletés. Tu es mon modèle de beauté. Et tu ne crois plus en toi. Quelle catastrophe, hein !
  • Son ombre : Silence

Face à sa déception, il tournait sur lui-même dans une folle rage sans jamais dépasser son bout de trottoir. Il était une heure passé de quinze minutes. Il apercevait que son ombre était derrière lui. Il piquait une autre crise.

  • Le clochard : Pourquoi restes-tu derrière fidèle compagnon ? Ta place c’est à mes cotés ou devant. Pas sous mes pieds ni derrière moi.
  • Son ombre : Toujours le silence
  • Le clochard : Je comprends tes inquiétudes. Mais tu oublies aussi que la vie même est faite de petits combats qu’on doit mener et gagner constamment. Et le concept d’échec n’existe pas ?
  • Son ombre : Toujours le silence
  • Le clochard : Toutefois, je te donne quelques minutes pour te reprendre. Chaque grand homme a son moment de faiblesse. Je dois comprendre ça. En attendant que tu sois à mes cotés ou devant, je fixe cet immense drap bleu sous ma tête pour m’envelopper là-dedans. Car j’existe en toi. Je me vois toujours en toi.

Il focalisait son regard pendant un bon moment vers les cieux. Il ne parlait plus. Entre temps, une foule immense se massait dans cette rue perdue, sans nom. Les commentaires se multipliaient à un rythme tel que tout devenait vacarme tout à coup. Il était au beau milieu de tout ce tohu-bohu comme s’il était sourd et aveugle. Les bruits, les commentaires déplacés, ironiques et harcelants ne les dérangeaient pas apparemment. Et soudain, il enlevait la voix au-dessus de tout : « Ah ! Enfin ! Te voilà à mes cotés ». La foule se taisait. Il continuait.

  • Le clochard : Tu as fini par comprendre cher ami. Il ne faut pas laisser les préjugés des autres nous briser ou nous détruire. Nous sommes forts. Oublie leurs miroirs qui nous gardent prisonniers et tout ce brouhaha qui nous rend dingue. Je serai toujours là pour ta propreté. Et toi pour me prouver que j’existe et que je suis beau et propre. (la foule se ricanait)
  • Son ombre : Toujours silence

Il reprenait ses activités coutumières. Son regard qui courait partout. Ses pas fêlés qui arpentaient inlassablement son bout de trottoir qu’il ne partageait qu’avec son ombre. Son balai de paille en main chassait les déchets, les restants de décombres et même les jolies fleurs parfumées tombant sur l’autre lui. Il sifflait. Il bougeait sans relâche. Il nettoyait et faisait la toilette de son ombre avec des morceaux de toiles imbibées de boue. Une foule immense perdait du temps et du temps pour l’ironiser. Et lui il prenait bien soin de son fidèle compagnon. Il réalisait son travail dans le temps. Et la vie continue sa course avec les mêmes séquences sous des formes différentes. Et aussi, ma ville perdue souffre encore dans les méandres de l’oubli.

Jean Frantz PHILIPPE

poète, haïkiste, écrivain, enseignant, journaliste et animateur culturel, est:

Président-fondateur de l’ASSOCC

Consultant littéraire et administratif de l’OSEC

rédacteur à Inferno News

Membre du Réseau Citoyen de Pétion ville

membre du Centre PEN-Haïti.

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14 mars 2013 4 14 /03 /mars /2013 13:00

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                                       Ajoutée depuis Flickr.

 

La maison noire illuminée

 

Il y avait au milieu des arbres géants de toutes sortes de la plaine Cul Bois-Hauteur de mon quartier imaginaire d’antan, entourée de sombres brouillards, une vielle maison noire illuminée qui n’offrait aucune lumière mais inspirait de la peur à tous. Perdue dans les arbres musiciens et ces épais brouillards zombis qui ne respectaient pas le pouvoir du temps, la maison noire illuminée, qui n’était pas visible, se laissait surprendre par deux fidèles amis rebelles et curieux de nature. Makens, mon ami fidèle, et moi, nous partions à la recherche du bois pour nourrir le feu, et tandis que nous ramassions des branches sèches mais très humides, nous entendions non loin de nous des sons, des voix, et parfois, des cris dont les registres et les intonations ne cessaient de varier. Tantôt, il était question des tambours, des flûtes … qui se battaient et se jouaient, près d’une cascade, au rythme yanvalou. Tantôt s’était un moment de silence complice et de chuchotements macabres et effrayants. Tantôt il s’agissait des femmes initiées en transe qui libéraient de grands cris, des hommes voyants en chaleur qui jouissaient à l’avance de leurs conquêtes sexuelles à venir, ou des enfants apeurés qui criaient leur peur.

 

Nous restions figés pendant quelques secondes. Parce que c’était pour la première fois, après plus de trente années, que nous apercevions une telle activité aussi mystérieuse et effrayante dans la plaine Cul de Bois-Hauteur réputée pour ses arbres géants, ses brouillards épais zombis et son silence complice. Sur le coup, plusieurs idées effleuraient notre esprit. Peut-être que c’était là que les kidnappeurs avaient caché les trente-six personnes, hommes, femmes et enfants, kidnappées la semaine dernière ?, me demanda Makens. Non, n’est-ce pas de préférence Père Silibo, le hougan de la zone, qui réalisait une de ses secrètes cérémonies voudouesques ?, répondis-je. Un regard complice partagé entre nous un instant. Nous décidions d’affronter notre peur pour aller voir de quoi il s’agissait vraiment. Nous laissions tomber notre paquet de bois secs humides afin d’être plus libre pour aller découvrir le mystère. Nous avancions à pas contrôlés. Mais, après plusieurs minutes de marche en direction des sons, des voix et des cris très variés qui attiraient notre attention, nous remarquions vraisemblablement que tout s’éloignait à mesure qu’on s’avançait. La distance qui existait au préalablement entre nous et ces activités douteuses, mystérieuse, effrayantes, et non communes, demeurait toujours la même tandis qu’on avait marché pendant plus d’un quart d’heure dans le sens de diminuer cette distance. Notre peur augmentait d’un cran. Apparemment cette remarque était plus forte que notre curiosité innée. Rapidement nous décidions de retourner en courant sur nos pas en jetant à intervalle non régulier des coups d’œil en arrière. D’un coup, tous les sons, les voix et les cris étaient devenus un grand vacarme qui nous suivait de très près. Nous courions à tue tête dans tous les sens sans jamais trouver une brèche. Et soudain, nous frappions de plein fouet dans un mur sorti de nulle part. Tout s’arrêtait tout à coup. Littéralement nous étions en paix parce que nous étions inconscients.

 

On s’était réveillé dans le noir, à l’intérieur d’une maison, sur des lits de paille. Nous perdions toute notion de temps. Mais notre souvenir nous faisait comprendre que nous étions inconscients peut-être pendant cinq à dix minutes. Mais que faisions-nous à l’intérieur de cette maison noire ? Ou disons mieux, qui est-ce qui nous avait bien mis là ? Des doutes immenses nous envahissaient. Nous quittions à présent notre lit de paille pour aller trouver des réponses à nos interrogations. C’est à ce moment qu’on avait pu remarquer des changements importants au niveau de notre corps. Nous tremblions littéralement. Notre peau plissait. Notre dos courbait. Nous ne pouvions pas nous voir tellement le noir était épais mais il était sûr que nous avions vieilli de plus de quatre-vingt ans. Notre mémoire était jeune de trente-cinq ans et trente minutes environ. Mais notre corps à littéralement vieilli. On dirait que nous avions cent trente-cinq ans. Confus, nous poussions des cris de secours qui, malheureusement, n’avaient pas pu laisser notre chambre si immense. Nous partagions stérilement notre peur. Nous voyions dans une étrange stupéfaction défilé devant nous tous nos projets de jeunesse, toutes nos aspirations d’adultes. Et nous nous rendions compte que nous avions perdu une très grande partie de notre vie. Nous étions étrangers à nous-mêmes. On était là dans ce lieu mystique où presque tout nous échappait. Mais rebelles, nous ne voulions pas abandonner. Nous arpentions en tâtonnement cette grande maison noire à la recherche d’une ouverture pour sortir. Sans succès. Il n’y avait pas de brèches. A part nos lits de paille, nous avions pu remarquer que cette vieille maison noire était vide de l’intérieur, plus rien ne marchait. Fatigués de marcher, nous regagnions nos lits de paille sous le poids des regrets, du chagrin et de la peur.

 

Perdus dans nos pensées apeurées et chagrinées, on avait pris du temps pour comprendre que les activités reprenaient dans la maison noire. Des activités douteuses, mystérieuses et effrayantes. Ce n’était pas comme la première fois. Tout s’amplifiait à présent. Parce que nous étions au beau milieu. Nous avions eu l’impression que là où nous étions était le centre de la maison noire. Les rythmes voudouesques et les voix de toutes intonations nous entouraient. On entendait des pas rythmés qui s’approchaient et s’éloignaient en même temps de nous. Des voix bizarres très graves nous menaçaient sans relâche. On tremblait de peur. Ainsi nous avions décidé de partager le même lit. On se serrait l’un contre l’autre pour essayer de diminuer notre peur. Paraissait-il que ça marchait. Tout s’arrêtait un moment. Ce silence profond et brusque nous inquiétait encore plus. On avait raison. Moins d’une minute après, tout recommençait pour la plus belle. Mais cette fois-ci avec un extrême vraiment inquiétant. A part ces rythmes voudouesques et ces voix de toutes intonations qui nous entouraient, ces pas rythmés qu’on entendait s’approcher et s’éloigner de nous, nous étions caressés partout par des mains inconnues et invisibles. Ces attouchements tendres et effrayants ne faisaient qu’augmenter notre angoisse. Tantôt nous sentions des mains frêles et tremblantes nous caressaient la tête chauve. Tantôt c’étaient des mains d’enfants qui nous caressaient le visage ridé et triste, ou des mains mastorques et sauvages qui caressaient notre intimité. On voulait partir en courant. Mais on était prisonnier sans chaines. Nous sentions notre souffle allait se couper. De toute notre force, nous poussions un dernier cri : « Arrêter ! ». Et soudain, tout s’arrêtait une fois de plus. Peut-être que ses mystérieux êtres invisibles pouvaient nous obéir ? Nous crûmes un instant dans notre confusion totale.

 

Et, tout à coup, nous étions envahis par une lumière terriblement éclatante qui nous exigeait de rester les yeux fermés. Un vent très violent qui nous maltraitait, nous voltigeait ça et là. Et cette effrayante voix si grave que nous ne pouvions pas entendre très bien à cause de la force du vent nous inspirait encore beaucoup plus de peur.

Nous cherchions désespérément quelque chose de vraiment solide à tenir, avec laquelle nous pouvions s’agripper pour résister à tout ça. Mais il n’y avait que les murs. La maison était vide. Et les murs étaient très lisses comme des vitres. On était vraiment et réellement seul face à tout ça. Plus de parents. Plus d’amis. Toujours pas de responsables. Même Dieu semblait nous abandonné tout à coup. Notre espoir était fini. On ne se débattait plus. On laissait libre coup à ces voix macabres et effrayantes, à ces mains de tout âge qui nous touchaient partout, à cette lumière terriblement éclatante et à cette voix grave perdue dans ce vent si violent qui nous effrayaient tant. On était désespéré.

 

Quelques secondes plus tard, je n’entendis plus la voix de Makens, mon ami. Sans succès, je le cherchais en tâtonnant dans le noir. Mais il n’était plus là apparemment. J’étais seul. Plus besoin de lutter à présent. Tout était fini pour moi. Mon unique compagnon avait été disparu me laissant seul dans le noir épais et tout ce vacarme si violent. J’abandonnais mon corps et mon âme à la merci de toute cette frayeur si désagréable. Calmement je me sentais englouti dans un liquide très visqueux. Je ne sentais plus mes membres inférieurs. Ma hanche. Mon ventre. Mon estomac. Mes membres supérieurs. Ma bouche. Mon nez. Mes yeux. Mon corps tout entier m’abandonnait. Je n’y étais plus. Seul mon esprit vagabondait dans mon ultime souffrance et désespoir.

 

Et soudain, j’entendis la voix de ma mère, chargée d’émotions, qui m’appela. Réveillé en sursaut, je réalisais que je rêvais. Ce fut un mois de juillet des années 50 perdu dans ma mémoire où le cyclone Flora avait ravagé une bonne partie de ma terre natale. Je n’étais même pas encore né.

 

Jean Frantz PHILIPPE

Président de l’ASSOCC

Et consultant littéraire et administratif de l’OSEC

Poète, haïkiste, écrivain, animateur culturel, photographe, enseignant et journaliste indépendant.

Emails: pejifrantzou@yahoo.fr; pejifrantzou1@yahoo.fr  

Twitter : @pejifrantzou 

 

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13 août 2009 4 13 /08 /août /2009 17:16

C'était un après midi de juillet 2009. Une chaleur terrible persistait en dépit du fait que le soleil dibrase* s'était pudiquement réfugié derrière l'horizon comme horrifié du spectacle que s'ingéniaient à lui offrir les hommes et les femmes de ce pays. Je trouvais Pè Tontonassis seul sous le flamboyant de sa cour, ayant sur le visage une expression qui cataloguait le dégoût. Tellement préoccupé dans ses pensées, Pè Tontonne s'aperçut même pas de mon arrivée. Quand j'étais arrivé auprès de lui, je lui caressais la tête pour le saluer et lui avertir que j'étais là. Content de me voir, avant même de lui demander la raison de son attitude perplexe, il me lançant:"Kouman bagay yo ye, mon garçon?"- Ou konnen, papi, pito nou lèd men nou la, lui répondis-je, en m'asseyant. Pè Tonton, l'air perplexe, se dépêcha de mettre sa pipe à la bouche comme pour se consoler.

 

- Pito ou lèd, ou la!!! Figure-toi, mon garçon, que cela fait plus d'une année que je réfléchis sur cette affaire de Pito nou lèd, nou la. Tu trouves cela normal de répondre à tout bout champs pito nou lèd, nou la?

- Je ne comprend pas, Pè Tonton, dis-je sincèrement étonné.

- Men se pou w konprann, mon garçon. Quand on demande à un haïtien comment il réagit fâce aux problèmes sociaux, politiques et économiques de son pays, il répond toujours pito nou lèd nou la. Ki nou? Nou la ki kote? Car en fait, mon garçon nou pa janm la. Le marron est dans sa forêt.

- Men ki sa w ta vle pou m' te reponn, papi?

- Men se pou w te di m' wap goumen pou sa chanje, mon garçon. Tu es jeune. Et la jeunesse, dit-on, est l'espoir du pays. Tu ne dois pas te résigner de cette merde là. En disant constamment pito nou lèd nou lac'est comme si nous avons tourné le dos à l'espoir, le dos au soleil ... c'est effrayant, mon garçon ... c'est la négativité partout ... otan nou renmen chante Goumen pou sa nou kwe de BARIKAD K., autant nous désertons le champs de notre combat ... c'est la même chose pour cette affaire d'Haïti chérie. Jamais un peuple n'a autant chanté son pays e pa gen yon pèp ki pi rayi peyi l' tankou nou.

- Tu es amer ce soir, Pè Tonton, dis-je ... Mais j'avoue que tu as raison ... Quand on réfléchit un peu, on trouve cette affaire de pito nou lèd nou la un peu louche.

- un peu louche! s'écria le grand homme ... Mais c'est plus que louche ... Tu sais quelles sont les premières conclusions de l'intellectuel que je suis?

- Je suis impatient de les entendre, papi.

- Nous sommes tous des fuyards, mon garçon ... On dirait que ces années de corruption, de division, de crime ... ont eu raison de nous. Comme des lâches nous abandonnons notre responsabilité de citoyenneté. Nous oublions que nous sommes faits pour progresser en travaillant assidument. Nous préférons de se cacher sous ce masque pito nou lèd nou la au lieu de lutter pour le changement.

- C'est une sorte de non espoir généralisé pour l'avenir du pays. Une négativité haïtienne absolue, on dirait.

- Exactement, mon garçon. On ne croit plus au demain meilleur du pays, on accepte par une résignation mortelle l'état lamentable dans lequel on est.

- Tu as peut-être raison, Pè Tonton.

- Evidemment. Tu commences peut-être à comprendre le drame funèbre de ce pays, mon garçon. Cette affaire de pito nou lèd nou lanous montre l'extrême gravité de ce cancer qui nous ronge depuis la nuit des temps. Tu dévines l'aura négatif de ce pays avec à peut près sept millions d'haïtiens qui acceptent pito yo lèd yo la.

- Je vais dès à présent entamer le processus d'abandon de cette mentalité qui tue au profit de ce grand combat pour le redressement de mon pays, Haïti. L'autre Haïti est possible si je crois, si nous croyons tous.

- Merci, mon garçon. Merci encore. Va partager cette bonne nouvelle avec tes frères, les jeunes de ce beau pays, Haïti.

        Le vieil homme se perdit dans ses pensées, et je me dis, qu'en vérité, je partagerai cette bonne nouvelle salvatrice à tous les haïtiens, jeunes et vieux, que je croiserai sur ma route.

(la photo est prise par moi, PJF)


Jean Frantz PHILIPPE.

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