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La plume, métier de tous et de personne.
Réflexions
Jean Frantz Philippe, président de l’ASSOCC.
Le métier de plume, sur mon île divisée, est à l’intersection de grandes interrogations à l’heure actuelle. Je me demande même s’il n’était pas toujours ainsi. Ces multiples interrogations sont basées sur une trilogie fondamentale : l’individu qui le pratique, sa place dans la société (dans le monde) et ses relations avec les autres. Cette dernière suscite d’innombrables questions que notre société se pose à elle-même. Le scénario est vraiment compliqué : des jeunes hurlent de toute leur force que les ainés fonctionnent en cercle fermé au détriment de leurs potentialités. Et les ainés, de leur coté, ripostent que cette jeunesse moribonde ne produise que de la merde, c’est une jeunesse « gaye pay ». C’est comme si ce soit disant rivalité entre les jeunes poètes ou écrivains et ceux qui sont des ainés voulait me faire croire que le métier de plume requiert autres choses que la quête de l’excellence. C’est comme s’ils me disent que je dois intégrer un clan pour pouvoir valoriser mes partages littéraires. Mais de quel clan parlez-vous au juste ? J’ai cru entendre parler du clan à Lyonel Trouillot, de celui de Francketienne, des Editions Bas de Page, des Editions Ruptures et j’en passe. Mais qu’est-ce que vous les reprochez finalement ? Le fait d’être eux-mêmes peut-être ? N’est-il pas beaucoup plus avantageux d’évoluer en petits groupes pour un intérêt commun ? Pourquoi nourrir de la haine pour un poète ou un écrivain de renom qui refuse de vous préfacer, ou pour une Maison d’Editions qui ne veut pas vous éditer ? Vous parait-il nécessaire d’étouffer votre style, votre génie au bénéfice du conformisme rien que pour vous faire accepter ? Je vous laisse le soin d’y répondre en vous-mêmes.
Vous passez des heures, des jours, des mois et même des années à nourrir un débat, pour moi, stérile au détriment de la création, notre patrimoine éternel commun à nous tous. Que des temps perdus, gaspillés ! Admettons un instant que tout est vrai. Que les mondes culturel et littéraire ici soient piégés de partout pour les jeunes talents qui refusent de plier le chine. Même là encore franchement, je n’arrive pas à comprendre votre plainte, vos frustrations. Les barricades dressées contre vous ne sont-ils pas des défis que vous devriez relever ? Pourquoi vous abandonnez et devenez chimériques au lieu de travailler constamment afin de parfaire votre art et créer votre propre espace d’émancipation et de publication ouvert à tous ? La réussite est le fruit d’un travail constant et bien fait dans la jubilation, pour paraphraser Franckétienne. N’emprunter plus la voie de la facilité. Lire sans arrêt, observer tout et partout pour mieux exposer au monde vos émotions, nos émotions. Les ragouts, les méchancetés d’une tierce personne ne doivent pas nous bloquer indéfiniment. Nous sommes des locataires de l’éternité. Comportons-nous entant que tels : Vaincre la mort sous toutes ses formes !
Ce qui m’embarrasse et me fascine à l’égard de ce prétexte qui vous ralentit, c’est que vous ne pouvez finalement pas en donner une raison précise et fondamentale sans en tomber dans la banalité et la méchanceté réciproque. Alors faut-il le mépriser ou le glorifier ? A mon humble avis, ni l’un ni l’autre n’est admissible. Selon une perception objective, nous devons tous, sans distinction aucune, planer au-dessus de ce sombre brouillard mortel. Car notre champ d’action est le monde et notre création est synonyme de partage. Alors soyons tout simplement des créateurs généreux cosmopolites.
Là je ne prétends pas dire que la question jeunesse/ainé est résolue chez nous : la mentalité n’est plus un problème sous prétexte qu’elle aurait été désacralisée « détabouisée ». Non ! Beaucoup de travail reste à faire. Nous sommes les seuls vrais coupables. Car nous fuyons notre responsabilité sous de faux prétextes. Et si souvent notre aveuglement nous fait répéter les mêmes erreurs que nous voulions combattre dans le passé. Notre mission entant que jeune génération n’est pas de haïr ou de privilégier quiconque ou un groupe quelconque mais tout simplement d’assurer la relève courte que courte. Qu’importe que la génération sortante ne soit pas ouverte au changement. Il est grand temps que nous formions une jeunesse libre, laborieuse, compétente, conséquente et généreuse, qui ne disparait pas sans être vraiment née. Je ne vous demande pas de nier la réalité. Au contraire, je vous demande uniquement de transcender cette fatale réalité. Et la meilleure façon d’y parvenir c’est l’AMOUR.
Une plume dévoilée, déroutante et glorifiée.
En travaillant assidument tout en prenant confiance ne nous-mêmes, notre monde bénéficiera d’un événement de grande portée concernant notre plume. Nous serons passés d’une plume occultée et soupçonnée à une plume dévoilée, déroutante et glorifiée.
Dévoilement, en tradition philosophique, cela signifie vérité. La vérité ne se révèle pas, elle se dévoile, avec brutalité souvent, nous obligeant à renégocier nos postures et nos décisions. Notre manière de considérer le métier de plume aujourd’hui et demain va devoir se confronter à la question de la vérité, après des temps d’illusions et face à d’autres mirages destructeurs. Et à ce niveau, la vérité se résume en deux mots : la liberté et la générosité.
Déroutant, le Petit Larousse le définit comme tout ce qui peut mettre dans l’embarras, qui déconcerte. Ce n’est pas parce que sa plume n’épouse pas notre style qu’il n’écrive pas des choses de qualité. La création en général a ça de fondamental qu’elle étonne, déconcerte et choque. On ne juge pas la plume d’un poète ou d’un écrivain d’après son origine, son appartenance intellectuelle ou sociale. Mais d’après le niveau de l’imagination de l’auteur. Pour cela il faut être aussi grand qu’ouvert pour pouvoir être en mesure, en condition d’accepter le changement, le nouveau, le tout neuf.
Glorification, c’est le niveau le plus élevé dans la quête de l’excellence de tout créateur, de tout poète ou écrivain en particulier. C’est le moment où l’œuvre prend le large, va acquérir de la gloire ; le moment où la plume va être honorée pour sa juste valeur. Il n’y a point d’âge pour un tel privilège. Il suffit d’être un créateur au travail. Qu’importe notre lieu d’origine ou notre endroit de résidence, si on veut on peut créer des chef-d’œuvres. Et notre œuvre sera glorifiée au degré de notre travail constant réalisé dans la jubilation. Personne, même pas vous, ne peut empêcher ça. Car les pierres parleront à votre place.
Oui, il est urgent de libérer le métier de plume dans notre moment culturel. Pour cela, un changement de mentalité nous sera utile. Le constat est triste et alarmant pour ces vingt-cinq dernières années. Il nous faut hélas remarquer que les esclaves de Saint Domingue étaient des gens libres avec des chaînes à leurs pieds et aux mains. Mais nous nous sommes pires qu’eux. Car chaque petite cellule de notre cerveau est enchaînée par mille et une chaînes.
Nous avons besoin d’abord de nous réapproprier notre relation au monde. L’œuvre d’art en général, le texte en particulier, a toujours eu besoin du monde pour la contempler ou le lire, l’apprécier, la critiquer ; mais sans la détruire pour autant. Il nous faut un peu de tout pour faire un monde dit-on. On doit comprendre aussi que les créateurs effectuent une exposition aux émotions non pas une explication. Apprécier de préférence l’impact qu’a eu cette exposition sur nous plutôt de tenter de l’expliquer vainement. Et nous créateurs, ne nous sentons pas déçus, abattus ou détruits, si l’impact de notre œuvre sur une partie du public est synonyme de rejet. Ça se produit le plus souvent quand nous sommes en avance sur notre temps. Ayez confiance en nous-mêmes. Car même après notre traversée de l’autre coté, notre œuvre sera glorifiée. Créer d’abord pour l’amour de la création, ensuite pour nous-mêmes et le monde. Et la gloire sera nôtre inévitablement. Rien ne peut l’empêcher, pas même le temps.
Nous aurons besoin de beaucoup de générosité entant qu’homme ou femme de plume pour mieux redéfinir notre impact sur notre environnement et sur le monde. Nous aurons aussi besoin de repenser l’industrie littéraire, artistique et culturelle de notre milieu en thème infrastructurel, économique, qualitatif et quantitatif. Une philosophie axée sur une vision nationale ouverte sur le monde. Et enfin, nous aurons besoin d’avoir le courage de décentraliser les activités littéraires, artistiques et culturelles chez nous. Les systèmes étatiques et intellectuels haïtiens doivent être capables d’offrir à tout un chacun la même éducation, le même niveau de formation et les mêmes chances de réussir. Les ainés, nos ainés, ont l’urgente responsabilité de structurer l’ensemble du système, de jeter les bases de cette nouvelle façon de voir, de penser et d’agir. Et de l’autre coté, la jeune génération a l’ultime responsabilité d’assurer la relève et de continuer. Nous devons impérativement relever le défi de notre existence. Combler toutes nos lacunes. Nous perfectionner sans relâche. Remonter la pente. Reprendre notre souffle. Puis crier « En avant ! ». Le combat du siècle nous attend, celui avec nous-mêmes d’abord, et ensuite, avec les contraintes de l’excellence. Seuls les courageux et les violents s’empareront du royaume des dieux. Avancer toujours dans l’AMOUR.
Bonne et heureuse année 2013
A tous les amants, les amateurs et les professionnels
Du métier de plume,
Particulièrement ceux de chez-nous.
30 décembre 2012
Jean Frantz Philippe
Poète, haïkiste, nouvelliste, animateur culturel, journaliste, enseignant,
Etudiant en Sciences de l’Education,
http://constellations-maf.over-blog.com
pejifrantzou@yahoo.fr ; pejifrantzou1@gmail.com